Maéva Chandler et sa mère, Heather, lors de la cérémonie d’obtention de son master à la Kingston University de Londres, en mai 2022. – Photo DR
Élevée entre la Martinique, l’Angleterre et les États-Unis, Maéva Chandler, atteinte de dyslexie, n’a réellement maîtrisé la lecture qu’à l’adolescence. Mais à force de persévérance, elle a étudié à l’université, décroché un master, et travaille aujourd’hui dans le numérique à Londres.
L’histoire de Maéva, c’est celle d’une jeune Martiniquaise qui a dû surmonter un handicap afin de réaliser ses rêves. Une histoire de résilience. Atteinte de dyslexie, elle a lutté pendant toute son enfance, jusqu’à l’adolescence, pour apprendre à lire. Malgré ces difficultés, à force de persévérance, et grâce au soutien de sa famille, elle a pu être admise à l’université, aux États-Unis puis en Angleterre. Aujourd’hui âgée de 28 ans, elle travaille à Londres dans le numérique et se sent épanouie professionnellement. « Tout un chacun est amené à lutter contre ses propres limites personnelles », assure la jeune femme, spécialiste en expérience utilisateur web, son domaine de prédilection. « N’abandonnez jamais, il faut faire preuve de résilience », dit-elle en anglais, la langue dans laquelle elle s’exprime avec le plus d’aisance.
Maéva sait bien de quoi elle parle. Née à Fort-de-France d’une mère originaire de Saint-Kitts et d’un père martiniquais, Maéva Chandler passe son enfance entre son île natale, les États-Unis, où ses parents travaillent, puis la Grande-Bretagne, dans un environnement dominé par la langue de Shakespeare. Heather, sa maman enseignante de profession, lui fait l’école à la maison. Mais la fillette éprouve des difficultés d’apprentissage. À 5 ans, sa dyslexie est diagnostiquée. « Vers 7 ou 8 ans, je pouvais lire quelques phrases, mais c’était très difficile », se remémore Maéva.
Réussir ses études malgré tout
Avec une patience infinie, Heather lui inculque les bases de la lecture. Elle se forme et devient orthophoniste pour mieux aider sa fille à progresser. Maéva lit son premier livre à 11 ans, et est enfin en mesure de lire couramment deux ans plus tard. Suffisamment pour qu’elle soit admise au collège, en Angleterre, à l’adolescence. C’est là que les choses se corsent. « J’étais également atteinte de dyscalculie, donc j’avais beaucoup de difficultés en maths et en anglais ». Ces « troubles dys » dont souffre la jeune femme étaient renforcés par un déficit de la mémoire à court terme qui rendait sa scolarité bien pénible. « Je n’arrivais pas à me souvenir de ce que j’apprenais. J’oubliais même mes emplois du temps », confie Maéva. Heureusement, sa famille continue de la soutenir : son père, Jean-Luc, l’aide à faire ses devoirs et à progresser en maths.
Autant dire que la lecture n’a jamais été la passion de Maéva, malgré ses progrès. « La lecture, c’est censé être un loisir. Mais pour moi, c’était une corvée, quelque chose que je m’efforçais à faire parce que c’était ce que la société attendait de moi », dit la jeune femme, qui dit encore préférer regarder des vidéos et écouter des podcasts ou des livres audio. Cependant, la lecture était non seulement une attente de la société, mais aussi une nécessité pour réussir ses études.
« Je ne voudrais rien changer »
Maéva persévère, et intègre, à 19 ans, la Southern Adventist University d’Atlanta, où elle décroche, au bout de deux années, un bachelor (licence) en design graphique. Après un premier emploi à Chicago dans la publicité en 2018, elle repart pour Londres, où elle reprend ses études, en master en design UX (expérience de l’utilisateur) à la prestigieuse Kingston University. Elle obtient son diplôme avec mention bien à l’automne 2020. La cérémonie de remise des diplômes n’a eu lieu que cette année.
Aujourd’hui, Maéva s’épanouit dans son travail et vit pleinement avec ses facultés cérébrales particulières. « Je ne voudrais rien changer à ma dyslexie. Elle a fait de moi quelqu’un qui a soif d’apprendre toujours plus et qui a beaucoup d’empathie », dit-elle. Maéva est friande d’opportunités pour partager son expérience avec des jeunes « neurodivers » (personnes au fonctionnement cérébral atypique) et aider ces derniers à rejoindre les métiers du design informatique. Elle espère intégrer prochainement une grande multinationale des services financiers, toujours dans sa spécialité de spécialiste de l’expérience utilisateur.
Bien qu’elle ait quitté la Martinique il y a une quinzaine d’années, Maéva a gardé un lien fort avec son île natale : elle revient y passer des vacances chaque année, à Noël, dans la maison où elle a passé les premières années de sa vie. Ses parents, Heather et Jean-Luc, se sont installés dans la maison familiale de Coridon, à Fort-de-France. Shareina, sa petite sœur, vit aux États-Unis. « La Martinique, c’est chez moi. Les gens me ressemblent », dit Maéva. « À Londres, je rencontre beaucoup de Martiniquais et de Guadeloupéens et nous gardons le contact », ajoute-t-elle.
« Ne vous découragez pas »
Heather Chandler, la maman de Maéva, témoigne de son vécu de parent d’enfant dyslexique : « Ça a été un vrai défi, un travail d’équipe pour l’aider. Jean-Luc, son père, l’a aidée avec les maths et ses devoirs. Sa sœur Shareina a été sa meilleure amie, sa confidente, son mentor, sa conseillère. Ma mère l’a toujours soutenue et encouragée. Vivre avec un ” dys ” peut être difficile et stressant pour tous les membres de la famille. Mais nous avons été de l’avant, en nous soutenant mutuellement. Pour moi-même, j’ai utilisé chaque jour des rappels des idiomes, des proverbes, des mantras que j’ai appris essentiellement de ma grand-mère. Je dis aux familles qui vivent cette situation : la résilience peut l’emporter. Ne vous découragez pas. »
Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie…
La dyslexie est un trouble de la lecture et de l’écriture spécifique et durable qui apparaît chez l’enfant et l’adolescent. Ce dysfonctionnement dans le processus d’acquisition des connaissances est reconnu comme un trouble spécifique du langage et des apprentissages et fait partie des « troubles dys », parmi lesquels figurent d’autres syndromes tels que la dyspraxie, la dysorthographie, la dysgraphie ou encore la dyscalculie.
Les causes de ces troubles ne sont pas totalement éclaircies et ils font l’objet de nombreuses études et débats. La dyslexie se manifeste par des confusions et inversions de sons et de lettres, des fautes d’orthographe, voire une écriture lente et illisible. Les « troubles dys » sont repérables très tôt par l’entourage familial et scolaire. Le repérage précoce des troubles du langage écrit permet une prise en charge plus rapide, favorise une bonne évolution et facilite la scolarisation de l’enfant. En France, on estime que 6 à 8% d’enfants sont atteints de troubles dys, selon la Fédération française des dys (FFDys). Des chiffres qui ne sont confirmés par aucune étude fiable. En Martinique, plusieurs associations accompagnent les personnes atteintes de troubles dys, parmi lesquelles Alternative-Espoir, à Ducos (Tél. 0696 19 78 04), ou encore Dys Martinique (dys.martinique@gmail.com).
Auteur : Jean-Michel Hauteville – jm.hauteville@agmedias.fr
Paru Mercredi 29 juin 2022 dans France Antilles Martinique
Article original : France Antilles
Addendum et rectificatifs
Pour sa licence en design graphique, Maéva a étudié pendant deux ans à Okwood University, puis deux ans à Southern Adventist University.
- Shareina est sa grande sœur, et non sa petite sœur.